mardi 18 février 2014

Rue du Monde - Réaction aux attaques contre la littérature de jeunesse

R U ED U M                          Protégeons nos enfants !

                                                               Les oiseaux ont des ailes - Les enfants ont des livres

Il faut s'y résoudre, il existe bien un album qui montre des humains nus en nous murmurant : quels que soient nos âges, nos fonctions ou nos conditions, nous sommes à égalité devant la nature et nous pourrions donc rêver de l'être aussi dans le grand océan de la vie.
S'il effraie certaines âmes sensibles, il existe des livres qui peuvent mettre en péril plus gravement encore la jeunesse !
Par exemple, cette histoire vraie de deux papas manchots du zoo de New York qui ont couvé un œuf abandonné et élevé le petit Tango qui en est sorti. Cet album a été mis à l'index, il y a 9 ans, dans certaines écoles américaines à la demande d'associations de parents d'élèves qui-aiment-vraiment-leurs-enfants.
Ce livre, traduit en français il y a peu, dérange aujourd'hui ceux qui rêvent ici d'un enseignement hors du temps.
Et il existe bien d'autres livres dangereux. Des livres qui racontent par exemple des modèles familiaux différents de ceux qui prédominent dans la société, des livres qui chahutent délibérément, et parfois même avec joie et insolence, les clichés éducatifs sur les filles et les garçons… ce qui pourrait bien conduire, à terme,
à installer dans les jeunes esprits l'idée de l'égalité salariale entre hommes et femmes !
Il y a des livres qui se permettent de raconter des histoires de solidarité avec les sans-papiers au lieu d'apprendre aux enfants le strict respect de la légalité.
Il y a même des livres qui expliquent la collaboration de la France de Vichy avec l'Allemagne nazie ou les douleurs de la colonisation à des enfants qui croyaient leur pays au-dessus de tout soupçon…
Et il y a aussi, paraît-il, des livres de poésie pour les enfants ! Est-ce bien sérieux d'inviter les jeunes à repenser le monde avec des individus irresponsables capables de faire rimer cahier d'écolier et liberté ?



Pas de panique, Monsieur Copé. Aucun enfant de France ne va aller cul nu à l'école après avoir lu Tous à poil ! que vous avez exhibé avec une certaine indécence devant les caméras de la radio…
Aucun enfant ne va tenter de violer son enseignante ou de lui cracher au visage parce qu'il aurait découvert qu'une maîtresse d'école, c'est fait comme sa maman
ou sa petite sœur, ce qui tout naturellement devrait le conduire à un certain respect, son humanité étant ainsi confirmée. Parce qu'un enfant sait ce qu'est un livre.
Aucun enfant n'oubliera non plus qu'il aura fallu un mâle et une femelle pour faire un œuf de manchot. Parce qu'un enfant n'est ni un âne ni une ânesse.
À force de trop entendre ceux qui crient si fort l'ordre et la famille, on finirait par oublier que ce mot famille n'est pas la propriété des tenants des traditions
aristocratiques ou des conventions religieuses les plus archaïques. Il n'appartient pas à ceux qui seraient viscéralement attachés à la transmission d'un héritage familial,
comme si les autres n'avaient décidément rien à transmettre à leurs enfants, aucune valeur, pas plus immobilière qu'humaine !
« Il faut protéger nos enfants », crient-ils. Le mot enfant ne leur appartient pas davantage. Les leurs comme les nôtres ne sont pas des fleurs poussant sous cloche
à l'abri des mouvements du monde, de ses mystères et de ses contradictions.
Les enfants voient, savent, pensent, s'interrogent, ils ont même des avis et en discutent. Et l'école leur apprend à en débattre démocratiquement.
Il existe en vérité des millions de familles qui ne partagent pas les points de vue rétrogrades de monsieur Copé, de mesdames Bourges ou de La Rochère…
Des familles qui veulent protéger leurs enfants… mais de l'éteignoir obscurantiste et des manières étriquées de penser le monde ! Et ces familles comptent sur l'école
et la bibliothèque, les enseignants et les auteurs de littérature jeunesse pour que leurs enfants rencontrent des idées fraîches, solidaires, ouvertes sur les autres, des mots
qui les aident à l'apprentissage de l'esprit critique et des images, qui vont leur donner envie de bousculer généreusement le monde vers davantage de compréhension,
de justice et de liberté. Partager avec eux le goût de l'art et de la littérature qui par essence nous posent question, de 3 mois à 103 ans.
Découvrir ensemble des livres pleins de poils… à gratter.
Il faut que ces familles s'expriment aussi ! Qu'elles disent le plaisir qu'elles éprouvent à lire Pef quand il tord les mots, non pas parce qu'il méprise la langue de l'Académie
mais parce qu'il est amoureux de celle que font vivre les enfants joueurs de son pays.
Qu'elles expriment leur bonheur à parcourir les contes du monde les plus déroutants ou à laisser vagabonder leur imagination parmi les poussins d'un Claude Ponti ou
les monstres terrifiants d'un Maurice Sendak. Qu'elles disent combien elles jubilent quand elles ouvrent leurs enfants à l'esprit de résistance en lisant avec eux des albums
de Didier Daeninckx ou quand elles discutent de sujets difficiles ou tabous autour d'un livre ; c'est toujours plus facile qu'autour d'une pizza.
Des millions de parents espèrent enfin que leurs médias préférés n'attendront pas que d'autres livres soient pointés du doigt pour parler à nouveau de littérature jeunesse.
Sinon les coincés du Manuel d'une tout autre morale pourraient bien s'accaparer aussi le mot livre ! Si, enfant, vous avez lu de bons albums pour la jeunesse, vous pouvez
aisément imaginer la suite de cette mauvaise histoire…

Alain Serres Auteur, directeur des éditions Rue du monde
Le 13 février 2014
P.S. : Ce matin même, Le Figaro vient de publier une attaque des plus basses contre notre ami David Dumortier, poète, qui publie essentiellement chez Cheyne éditeur
et Rue du monde. L'article fait un inadmissible amalgame entre homosexualité et pédophilie, entre vie privée et action pédagogique. Nous serons bien sûr appelés
à réagir très vivement à ce sujet.
D E S L I V R E S P O U R I N T E R R O G E R E T I M A G I N E R L E M O N D E

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